Qu’est ce qu’un abus de droit (art. L 64 du LPF) ?

Comme l’énonce avec maestria le Professeur Maurice Cozian dans son ouvrage Les grands principes de la fiscalité [1], « l’abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité. Bien évidemment, ils ne violent aucune prescription de la loi et se distinguent en cela des vulgaires fraudeurs qui par exemple dissimulent une partie de leurs bénéfices ou déduisent des charges qu’ils n’ont pas supportés. L’abus de droit est un péché non contre la lettre mais contre l’esprit de la loi. C’est également un péché de juriste ; l’abus de droit est une manipulation des mécanismes juridiques là où la loi laisse la place à plusieurs voies pour obtenir un même résultat ; l’abus de droit, c’est l’abus des choix juridiques ».

L’abus de droit, au sens de la législation fiscale, recouvre deux comportements qui sont bien distincts en droit civil. Il se présente I. tantôt comme une simulation, II. tantôt comme une fraude à la loi.

I. Quand il utilise les artifices de la simulation, l’abus de droit est un mensonge juridique destiné à tromper le fisc. La simulation par acte fictif recouvre les cas où, tout en donnant l’impression d’être tenues par un accord, les parties n’ont en réalité pas entendu contracter ; le contrat n’est en fait qu’une « coquille vide » destinée à tromper les tiers.

II. En cas d’abus de droit par fraude à la loi, il n’y a ni simulation, ni mensonge, les actes passés sont réels, mais le montage juridique ne peut s’expliquer que par la volonté de contourner une règle fiscale contraignante. C’est, la jurisprudence qui est venue à la rescousse du contribuable en interprétant de manière extensive l’article L.64 du Livre des Procédure Fiscales. Le Conseil d’Etat, depuis un arrêt de principe de 1981 [2] considère que l’abus de droit peut être mis en œuvre lorsque les actes, bien que non fictifs « n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ».

La frontière délimitant le champ d’application de l’abus de droit est donc souvent malaisée à cerner et fait l’objet d’abondants commentaires de doctrine et de jurisprudences.

Cependant les conséquences de sa mise en œuvre sont redoutables : l’administration est fondée à exiger l’impôt éludé, les intérêts de retard au taux de 0,40% par mois (4,80% par an) et une pénalité égale à 80% des droits réclamés. En outre, il est fréquent que l’administration se retourne également vers le « bénéficiaire » de l’abus de droit. Les conséquences peuvent donc être très lourdes. Au cours du dialogue avec l’administration ou devant les tribunaux, le contribuable doit démontrer un intérêt autre que fiscal à une opération.

Il est donc essentiel pour, les entreprises notamment, de motiver explicitement et de façon adéquate leurs transactions dans les contrats qu’elles passent. Une prise en compte des motifs d’un contrat très en amont du processus permettra d’assurer sa justification et sa défense en cas de contrôle.

Des contribuables ont soutenu avec succès leur position, mais une étude de la jurisprudence met en évidence que des situations similaires ont été jugées différemment. C’est pourquoi la finesse et la qualité des réponses et démonstrations faites à l’administration tout au long du contentieux est essentielle.


[1] Maurice Cozian : Les grands principes de la fiscalité – Litec.

[2] CE 10 juin 1981 N°19079 : Droit fiscal 1981 comm. 1287 Conclusions Lobry